De la Tour Kudrinskaya
Voila, nous y sommes. Tour Kudrinskaïa, seizième étage, Moscou, immense, à perte de vue. Notre petite délégation pour Art For Europe a atterri à l’aéroport de Sheremetievo à vingt-trois heures, heure locale. Nous sommes le 20 février2022. Notre programme est chargé : une semaine pour rencontrer leplus de monde possible, les galeristes privés, les chargés de communication des musées et de l’Ambassade France afin de leur présenter le projet de Art for Europe.
Lundi 21, mardi 22, mercredi 23, tout va bien : il fait beau et froid. Nous visitons les musées et les galeries. Les gens sont souriants.
Le matin du 24, la ville est soudain étrangement calme. J’allume la télé : à quatre heures du matin, l’armée russe est entrée en Ukraine. Les chaines officielles parlent d’une « opération spéciale » qui ne durera que quelques jours. Au même moment les médias occidentaux – accessibles par satellite – annonçent en boucle une catastrophe imminente, la Troisième Guerre mondiale n’est pas loin, elle est déjà là.
Curieusement, dès l’après-midi, la ville retrouve sa vie ordinaire. Rien dans l’atmosphère ne laisse transparaître l’inquiétude. Les rues sont animées, les cafés et les restaurants sont pleins, il faut, comme d’habitude, réserver une table chez Ugolëk, ou au Beluga.
Nous vivons dans un monde dédoublé : la vie de tous les jours, comme si rien n’avait changé, l’amabilité à peine teintée d’inquiétude de nos interlocuteurs d’un côté, le discours implacable de la première chaine de télévision russe et la version apocalyptique des médias occidentaux de l’autre.
Alors nous continuons, alors que les compagnies aériennes annulent les vols les uns après les autres. Visite au MMOMA, à Lumiere Gallery, à la galerie Art4, à l’Institut Français de Moscou. De jeunes artistes enthousiastes, curieux, regardent avec gravité le monde se rétrécir.