On a beaucoup commenté ce texte publié il y a plus de quarante ans, en 1983. Si cette Critique de la modernité trouve aujourd’hui encore sa place, c’est parce qu’elle met au centre de sa réflexion l’effacement progressif de la peinture au sortir de la Seconde guerre mondiale. « De la gestualité abstraite des années d’après-guerre à au spray monochrome de la néo-abstraction des années 70, c’est à un dépérissement inouï de l’art de peindre auquel on aura assisté ». Cette évolution aboutit, selon les termes de l’auteur, à une « pénurie du sensible » qu’une glose souvent absconse tente vainement de recouvrir : « plus l’oeuvre se fera mince, plus savante son exégèse ». C’est ce que chacun n’aura pu que trop souvent constater à la lecture des critiques, des exégèses et des catalogues d’exposition.
Jean Clair oppose ainsi la modernité à « l’avant-garde »: la modernité se donne pour tâche de faire retour sur le passé, sur la culture, alors que l’avant-garde se soumet à l’idéologie du Progrès. C’est ce qui amène l’auteur à établir un parallèle grinçant entre avant-garde et réalisme socialiste. Les deux souscrivent à une esthétique de l’amnésie : rien avant, et rien après que nous n’ayons annoncé.
Le dernier chapitre de l’ouvrage, « Apocalypsis cum Figura », va plus loin encore. Jean Clair propose une variation osée sur la thème de la rupture : les avant-gardes artistiques transposent dans le domaine esthétiques le culte de la tabula rasa et des lendemains qui chantent propres aux régimes totalitaires. Mais cette pseudo-modernité n’est qu’un masque de l’archaïsme, ainsi que l’auteur nous le montre dans son évocation de l’architecture munichoise, « fantasmagorie archaïsante ». A cette restauration mortifère, Jean Clair oppose une renaissance vivifiante, et clôt son ouvrage sur la description d’une aquarelle d’Egon Schiele, emprisonné à Vienne pour immoralité. Une chaise, un seau, deux objets misérables auxquels le peintre donne la marque de l’éternité.
Jean Clair, Considérations sur l’état des beaux-arts, Gallimard, 1983