La décennie 60-70 a manifesté en Europe comme aux États-Unis un goût frénétique de la table rase , une passion farouche de la refondation. Les avant-gardes fleurissent : à New-York, en 1961, H. Flint définit l‘Art conceptuel, en 1963, N. J. Paik procède à ses premiers essais d’Art-vidéo. En 1964, à Vienne, G. Brus invente l’Art corporel, et en 1967, à Gènes, G. Celant publie le manifeste de l’Arte Povera. En 1964 le Grand Prix de la Biennale de Venise est décerné à Robert Rauschenberg, officialisant le désamour – provisoire- pour L’Expressionnisme abstrait incarné entre autres par J. Pollock.(1)
En France, Histoire oblige, le vent est aux ruptures radicales : il s’agit de « casser tout ce sur quoi la peinture a toujours vécu, ses moyens d’expression traditionnels (la toile, l’huile, etc.) et ses règles (la composition, l’harmonie, le contraste, etc.) »(2). En 1960, P. Restany invente le Nouveau réalisme. En 1965, Aillaud, Arroyo et Recalcati présentent une œuvre commune La Fin tragique de Marcel Duchamp et annoncent sans sourciller – et peu regardant sur l’origine de la formule(3) – que « la lutte pour la liberté est une lutte contre la culture » . En 1967 le groupe B.M.P.T.(4) s’oppose à toute idée d’illusion et de communication en proposant « le mutisme absolu de ses toiles« (5). En 1969 a lieu la première exposition de Supports/Surfaces. D’innombrables « anartistes » s’échinent à faire du « Non-Art », ajoutant ainsi une pierre à l’édifice qu’il prétendaient naïvement mettre à bas.
Dans ce contexte, on mesure la singularité d’Archipel, groupe de 9 peintres fondé en 1968 à l’initiative de Jean Billecocq. Provincial par affinités, Archipel garde ses distances avec les avant-gardes parisiennes. Le « groupe nantais de culture créative », s’attache d’emblée, dans une sorte de manifeste inaugural, à souligner à la fois l’indépendance de chacun des ses membres, n’ayant « en commun qu’un amour incoercible de la liberté », mais aussi, à contre-courant des tendances de l’époque, « une certaine idée de la peinture », et plus précisément de la peinture abstraite, que la décennie avait contribué à démonétiser. Souci de la composition, harmonie des couleurs, supports traditionnels, revendication de la singularité de l’artiste, tout traduit le goût de la continuité et la volonté de se tenir éloignés des effervescences de l’époque.
La galerie le Triphasé nous permet aujourd’hui de (re)découvrir avec bonheur ces peintres, loin des polémiques anciennes, dans une exposition riche d’œuvres d’esthétiques différentes mais animés d’une même énergie créatrice. On y verra les œuvres de Jean Billecocq, Jorj Morin, Louis Ferrand, Henry Leray, Laure Martin, Jean-Marc Ehanno, Dominique Chantreau, Arnaud Saint-Loubert-Bié, Maurice Cadou-Rocher, Michel Noury, Bertrand Bracaval, Monique Toupin, Gustave Tiffoche.

En parallèle de cette exposition, la galerie Gaïa présente une sélection d’œuvres de Jorj Morin, peintures, gravures, tapisserie, mosaïques.

JLG

Galerie Le Triphasé, 20 Boulevard Gabriel Guist’hau, 44000 Nantes, du 27 février au 12 avril 2025

Galerie Gaïa, 4 rue Fénelon, 44000 Nantes, du 25 février au 15 mars 2025 .

(1)Voir l’article Jackson Pollock, la liberté et la CIA . Il faudra attendre près de 20 ans pour voir une exposition Pollock au Centre George Pompidou en 1982.
(2)Jean Clair, Art en France, une nouvelle génération, Éditions du Chêne, Paris 1972.
(3)La formule « Quand j’entends le mot culture, je sors mon revolver », rengaine de nombreux mouvements d’avant-garde, est généralement attribuée à Baldur von Schirach, chef des jeunesses hitlériennes (de 1933 à 1940)
(4)Buren, Mosset, Parmentier, Toroni.
(5) Catherine Millet, l’Art contemporain en France, Flammarion, 1987.