Gérard Hauray : Poussières des toiles

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Gérard Hauray, Têtes, 2022
Gérard Hauray, Éphémérides, 2020-2024
Gérard Hauray, Passe-temps, 2020-2024

Le 12 août 1674, à Paris, au 20 rue des Écouffes, s’éteignait Philippe de Champaigne , laissant derrière lui, pour notre plus grande édification, une œuvre aussi considérable que définitive. On pourrait s’étonner que, dans un siècle où la mort était omniprésente, et dans ses formes des plus horribles, il eût été nécessaire de rappeler à chacun la brièveté de son séjour terrestre et l’impérieuse nécessité de se préparer sans relâche au moment où il se présenterait enfin devant Dieu. Mais telle est l’âme humaine – semble-t-il – qu’elle rechigne à s’en persuader.

Aujourd’hui rien n’a changé, et nombreux sont les artistes. « contemporains » qui se sont sentis appelés à raviver la flamme vacillante mais jamais éteinte de la vanité. Avec plus ou moins de bonheur il est vrai : entre la quincaillerie monumentale d’un Subodh Gupta ( Very Hungry God, 2006, collection Pinault), présentée sur le Grand Canal, devant le Palazzo Grassi, les kitscheries diamantées d’un Damien Hirst (For the Love of God, 2007, 100 millions de $), sans oublier les facéties d’un James Hopkins (Wasted Youth, 2006 ), ou les enfantillages d’Annette Messager, (Gants tête, 1999), on en finirait pas d’égrener la liste interminable de ces missionnaires de l’humilité patentée.

Disons le tout net : Gérard Hauray n’est pas de cette eau trouble. En virtuose de la dialectique vaniteuse (vanitesque, vanitéenne ?), en adepte roué de la bathmologie des accrochages, Gérad Hauray nous offre des vanités au carré, des vanités vaines, des vanités sans illusions sur leur misérable condition.
Dès l’entrée, sur une élégante étagère en acier zingué, des têtes de récents ministres de l’agriculture sorties des oubliettes s’alignent placidement. Qu’attendent-elles ? Un cartouche jouxtant une photo (10×10 couleur) nous renseigne : elles attendent d’être léchées. Non pas par nous-mêmes (quoi que), mais par nos amis les bêtes. Réalisées en pierre à sel, elles seront disposées sur des poteaux de bois à l’orée des champs pour satisfaire les besoins nutritionnels légitimes des vaches et autres bestiaux des prés environnants, jusqu’à disparition.
Poursuivons : une toile de grand format ( Ephéméride, 2020-2024, 159×106 cm ) représente le Salon doré de l’Élysée, vide de toute présence, encadré par les figures en grisailles des 24 présidents de la République précédant l’actuel locataire. Nous comprenons que, toute gloire bue, et éloignés les ors du pouvoir, chacun, fût-il un temps le plus puissant, est condamné à se frayer un chemin dans une triste chronologie.
Chacune des sept œuvres présentées à la galerie RDV s’inscrit ainsi dans ce genre désabusé du tragique. Une réplique sur toile d’un tableau de Domenic Ghirlandaio, (Portrait d’un vieillard et d’un jeune garçon, 1490), réalisée à la gouache pour enfants, laissera apparaître, le temps faisant son œuvre, une vanité plus durable peinte à l’acrylique. Un QR code permet de voir en accéléré le processus de destruction programmée dans son intégralité jusqu’à la révélation finale.
Gérard Hauray utilise, pour deux de ses œuvres, une gouache dite pour enfants, choisie pour sa grande fragilité. Sa vertu cardinale est d’être vouée à tomber, avec le temps, en poussière. Mais cette matière porte en elle une insigne qualité : elle dédramatise les parole de l’Ecclésiaste, ajoute une part d’innocence et de grâce à la fugacité de toutes choses.
Le terme Havel, dans la Bible hébraïque (vanitas dans la Vulgate) désigne généralement une brume matinale, un brouillard qui ne dure pas. Ainsi, de même que les dessins d’enfants s’envolent à peine achevés, les œuvres disparaîtront, et l’exposition, et nous-mêmes, et les autres.
Rien de grave.
Sacré Gérard !

JLG

Poussières des toiles
Exposition de Gérard Hauray
Galerie RDV, 16 allée du Commandant Charcot, Nantes 44000
Du 20 avril 2024 au 1er juin 2024


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